<- Page des Paroles... Lyrics Page...

Georges Brassens

La Mauvaise Réputation


La Mauvaise Réputation

Au village, sans prétention,
J'ai mauvaise réputation;
Qu'je m'démène ou qu'je reste coi,
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant mon ch'min de petit bonhomme;
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Tout le monde médit de moi,
Sauf les muets, ça va de soi.

Le jour du quatorze-Juillet,
Je reste dans mon lit douillet;
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n'écoutant pas le clairon qui sonne;
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Tout le monde me montre au doigt,
Sauf les manchots, ça va de soi.

Quand j'croise un voleur malchanceux
Poursuivit par un cul-terreux,
J'lanc' la patte et, pourquoi le taire,
Le cul-terreux se r'trouv' par terre.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En laissant courir les voleurs de pomme;
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Tout le monde se ru' sur moi
Sauf les culs-d'-jatt', ça va de soi.

Pas besoin d'être Jérémi'
Pour d'viner l'sort qui m'est promis:
S'ils trouv'nt une corde à leur goût,
Ils me la passeront au cou.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant les ch'mins qui n'mèn'nt pas à Rome;
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Tout l'mond' viendra me voir pendu,
Sauf les aveugl's, bien entendu.


Le Fossoyeur

Dieu sait qu'je n'ai pas le fond méchant,
Je ne souhait' jamais la mort des gens;
Mais si l'on ne mourait plus,
J'crèv'rais d'faim sur mon talus...
J'suis un pauvre fossoyeur.

Les vivants croient qu'je n'ai pas d'remords
À gagner mon pain sur l'dos des morts;
Mais ça m'tracasse et, d'ailleurs,
J'les enterre à contrecœur...
J'suis un pauvre fossoyeur.

Et plus j'lâch' la bride à mon émoi,
Et plus les copains s'amus'nt de moi;
Y m'dis'nt: «Mon vieux, par moments,
T'as un' figur' d'enterr'ment...»
J'suis un pauvre fossoyeur.

J'ai beau m'dir' que rien n'est éternel,
J'peux pas trouver ça tout naturel;
Et jamais je ne parviens
À prendr' la mort comme ell' vient...
J'suis un pauvre fossoyeur.

Ni vu ni connu, brav' mort, adieu!
Si du fond d'la terre on voit l'Bon Dieu,
Dis-lui l'mal que m'a cout&eacuté;
La dernière pelleté'...
J'suis un pauvre fossoyeur.


Le Gorille

C'est à travers de larges grilles,
Que les femelles du canton
Contemplaient un puissant gorille,
Sans souci du qu'en-dira-t-on;
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que, rigoureusement, ma mère
M'a défendu d'nommer ici...
Gare au gorille!...

Tout à coup, la prison bien close,
Où vivait le bel animal,
S'ouvre on n'sait pourquoi (je suppose
Qu'on avait dû la fermer mal);
Le singe, en sortant de sa cage,
Dit: «C'est aujourd'hui que j'le perds!»
Il parlait de son pucelage,
Vous avez deviné, j'espère!
Gare au gorille!...

L'patron de la ménagerie
Criait, éperdu : «Nom de nom!
C'est assomant, car le gorille
N'a jamais connu de guenon!»
Dès que la féminine engeance
Sut que le singe était puceau,
Au lieu de profiter d'la chance,
Elle fit feu des deux fuseaux!
Gare au gorille!...

Celles-là même qui, naguère,
Le couvaient d'un œil décidé,
Fuirent, prouvant qu'ell's n'avaient guère
De la suite dans les idé's;
D'autant plus vaine était leur crainte,
Que le gorille est un luron
Supérieur à l'homm' dans l'étreinte,
Bien des femmes vous le diront!
Gare au gorille!...

Tout le monde se précipite
Hors d'atteinte du singe en rut,
Sauf une vielle décrépite
Et un jeune juge en bois brut.
Voyant que toutes se dérobent,
Le quadrumane accéléra
Son dandinement vers les robes
De la vieille et du magistrat!
Gare au gorille!...

«Bah! soupirait la centenaire,
Qu'on pût encor me désirer,
Ce serait extraordinaire,
Et, pour tout dire, inespéré!»
Le juge pensait, impassible:
«Qu'on me prenn' pour une guenon,
C'est complètement impossible...»
La suite lui prouva que non!
Gare au gorille!...

Supposez qu'un de vous puisse être,
Comme le singe, obligé de
Violer un juge ou une ancètre,
Lequel choisirait-il des deux?
Qu'une alternative pareille,
Un de ces quatres jours, m'échoie,
C'est, j'en suis convaicu, la vielle
Qui sera l'objet de mon choix!
Gare au gorille!...

Mais, par malheur, si le gorille
Aux jeux de l'amour vaut son prix,
On sait qu'en revanche il ne brille
Ni par le goût ni par l'esprit.
Lors, au lieu d'opter pour la vielle,
Comme aurait fait n'importe qui,
Il saisit le juge à l'oreille
Et l'entraîna dans un maquis!
Gare au gorille!...

La suite serait délectable,
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire, et c'est regrettable,
Ca nous aurait fait rire un peu;
Car le juge, au moment suprême,
Criait : «Maman!», pleurait beaucoup,
Comme l'homme auquel, le jour même,
Il avait fait trancher le cou.
Gare au gorille!...


Le Petit Cheval

Poème de Paul Fort.

Le petit cheval dans le mauvais temps,
Qu'il avait donc du courrage!
C'était un petit cheval blanc,
Tous derrière, tous derrière;
C'était un petit cheval blanc,
Tous derrière et lui devant!

Il n'y avait jamais de beau temps,
Dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais d' printemps,
Ni derrière, ni derrière;
Il n'y avait jamais de printemps
Ni derrière ni devant!

Mais toujours il était content,
Menant les gars du village,
À travers la pluie noire des champs,
Tous derrière, tous derrière;
À travers la pluie noire des champs,
Tous derrière et lui devant!

Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
Eux* derrière, tous derrière;
C'est alors qu'il était content
Eux derrière et lui devant!

Mais un jour, dans le mauvais temps,
Un jour qu'il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc,
Tous derrière, tous derrière;
Il est mort par un éclair blanc,
Tous derrière et lui devant!

Il est mort sans voir le beau temps,
Qu'il avait donc du courage!
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni derrière;
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni devant!


* Variante G.B: tous.


Le Parapluie

Il pleuvait fort sur la grand-route,
Ell' cheminait sans parapluie.
J'en avait un, volé, sans doute,
Le matin même à un ami;
Courant alors à sa rescousse,
Je lui propose un peu d'abri.
En séchant l'eau de sa frimousse,
D'un air très doux, ell' m'a dit «oui».

Un p'tit coin d'parapluie,
Contre un coin d'paradis,
Elle avait quelque chos' d'un ange,
Un p'tit coin d'paradis,
Contre un coin d'parapluie.
Je n'perdait pas au chang', pardi!

Chemin faisant, que se fut tendre
D'ouïr à deux le chant joli
Que l'eau du ciel faisait entendre
Sur le toit de mon parapluie!
J'aurais voulu, comme au déluge,
Voir sans arrêt tomber la pluie,
Pour la garder, sous mon refuge,
Quarante jours, quarante nuits.

Un p'tit coin d'parapluie,
Contre un coin d'paradis,
Elle avait quelque chos' d'un ange,
Un p'tit coin d'paradis,
Contre un coin d'parapluie.
Je n'perdait pas au chang', pardi!

Mais bêtement, même en orage,
Les routes vont vers des pays;
Bientôt le sien fit un barrage
À l'horizon de ma folie!
Il a fallu qu'elle me quitte,
Après m'avoir dit grand merci,
Et je l'ai vu', toute petite,
Partir gaiement vers mon oubli...

Un p'tit coin d'parapluie,
Contre un coin d'paradis,
Elle avait quelque chos' d'un ange,
Un p'tit coin d'paradis,
Contre un coin d'parapluie.
Je n'perdait pas au chang', pardi!


Ballade Des Dames Du Temps Jadis

Poème de François Villon.

Dictes-moy où, n'en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine;
Archipiada, né Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine;
Echo, parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine?
Mais où sont les neiges d'antan!
Qui beauté eut trop plus qu'humaine?
Mais où sont les neiges d'antan!

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut chastré* et puis moyne
Pierre Esbaillart à Sainct-Denys?
Pour son amour eut cest essoyne.
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust gecté en ung sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan!
Fust gecté en ung sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan!

La royne Blanche comme ung lys,
Qui chantoit à voix de sereine,
Berthe au grand pied, Bietris, Allys;
Harembourgis qui tint le Mayne,
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu'Anglois bruslèrent à Rouen;
Où sont-ils, Vierge souveraine?...
Mais où sont les neiges d'antan!
Où sont-ils, Vierge souveraine?...
Mais où sont les neiges d'antan!

Prince, n'enquerez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Que ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d'antan!
Que ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d'antan!


* Variante G.B: chastré fut.


La Marine

Poème de Paul Fort.

On les r'trouve en racourci,
Dans nos p'tits amours d'un jour,
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours!

C'est là l'sort de la marine
Et de toutes nos p'tites chéries.
On accoste. Vite! un bec
Pour nos baisers, l'corps avec.

Et les joies et les bouderies,
Les fàcheries, les bons retours,
Il y a tout, en racourci,
Des grands amours dans nos p'tits.

Tout c'qu'on fait dans un seul jour!
Et comme on allonge le temps!
Plus d'trois fois, dans un seul jour,
Content, pas content, content.*

On a ri, on s'est baisés
Sur les neunœils, les nénés,
Dans les ch'veux à pleins bécots,
Pondus comme des œufs tout chauds.*

Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron.
Ça vous met la joie dans le cœur,
La peine aussi, et c'est bon.

On n'est pas là pour causer...
Mais on pense, même dans l'amour.
On pense que d'main il fera jour,
Et qu'c'est une calamité.

C'est là l'sort de la marine,
Et de toutes nos p'tites chéries.
On accoste. Mais on devine
Qu'ça n'sera pas le paradis.

On aura beau s'dépécher,
Faire, bon Dieu! la pige au temps,
Et l'bourrer de tous nos pêchés,
Ça n'sera pas ça; et pourtant,

Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours,
On les r'trouvent en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour...


* Variante G.B: ces deux strophes inverties.


Il Suffit De Passer Le Pont

Il suffit de passer le pont,
C'est tout de suite l'aventure!
Laisse-moi tenir ton jupon,
J't'emmèn' visiter la nature!
L'herbe est douce à Pâques fleuri's...
Jetons mes sabots, tes galoches,
Et, légers comme des cabris,
Courons après les sons de cloches!
Dinn din don! les matines sonnent
En l'honneur de notre bonheur,
Ding din don! faut l'dire à personne:
J'ai graissé la patte au sonneur.

Laisse-moi tenir ton jupon,
Courons, guilleret, guillerette,
Il suffit de passer le pont,
Et c'est le royaum' des fleurettes...
Entre tout's les bell's que voici,
Je devin' cell' que tu préfères...
C'est pas l'coqu'licot, Dieu merci!
Ni l'coucou, mais la primevère.
J'en vois un' blotti' sous les feuilles,
Elle est velours comm' tes jou's.
Fais le guet pendant qu'je la ceuille:
«Je n'ai jamais aimé que vous!»

Il suffit de trois petits bonds,
C'est tout de suit' la tarantelle,
Laisse-moi tenir ton jupon,
J'saurai ménager tes dentelles...
J'ai graissé la patte au berger
Pour lui fair' jouer une aubade.
Lors, ma mi', sans croire au danger,
Faisons mille et une gambades,
Ton pied frappe et frappe la mousse...
Si l'chardon s'y pique dedans,
Ne pleure pas, ma mi' qui souffre:
Je te l'enlève avec les dents!

On n'a plus rien à se cacher,
On peut s'aimer comm' bon nous semble,
Et tant mieux si c'est un péché:
Nous irons en enfer ensemble!
Il suffit de passer le pont,
Laisse-moi tenir ton jupon.
Il suffit de passer le pont,
Laisse-moi tenir ton jupon.


Comme Hier

Poème de Paul Fort.*

Hé! donn' moi ta bouche, hé! ma jolie fraise!
L'aube a mis des frais's plein notr' horizon.
Garde tes dindons, moi mes porc, Thérèse.
Ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons.

Va, comme hier! comme hier! comme hier!
Si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aim'rons.
L'un tient le couteau, l'autre la cuiller:
La vie, c'est toujours les mêmes chansons.

Pour sauter l'gros sourceau de pierre en pierre,
Comme tous les jours mes bras t'enlèv'ront.
Nos dindes, nos truies nous suivront légères.
Ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons.

Va, comme hier! comme hier! comme hier!
Si tu n' m'aimes point, c'est moi qui t'aim'rons.
La vie, c'est toujours amour et misère.
La vie, c'est toujours les mêmes chansons.

J'ai tant de respect pour ton cœur, Thérèse,
Et pour tes dindons, quand nous nous aimons.
Quand nous nous fâchons, hé! ma jolie fraise,
Ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons.

Va, comme hier! comme hier! comme hier!
Si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aim'rons.
L'un tient le couteau, l'autre la cuiller:
La vie c'est toujours les mêmes chansons.


* Version G.B.


Les Amoureux Des Bancs Publics

Les gens qui voient de travers
Pensent que les bancs verts
Qu'on voit sur les trottoirs
Sont faits pour les impotents ou les ventripotents.
Mais c'est une absurdité,
Car, à la vérité,
Ils sont là, c'est notoir',
Pour accueillir quelque temps les amours débutant's.

Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s'foutant pas mal du r'gard oblique
Des passants honnêtes,
Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s'disant des «Je t'aim'» pathétiques,
Ont des p'tit's gueul's bien sympathiques!

Ils se tiennent par la main,
Parlent du lendemain,
Du papier bleu d'azur
Que revêtiront les murs de leur chambre à coucher...
Ils se voient déjà, douc'ment,
Ell' cousant, lui fumant,
Dans un bien-être sûr,
Et choisissent les prénoms de leur premier bébé...

Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s' foutant pas mal du r'gard oblique
Des passants honnêtes,
Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s'disant des «Je t'aim'» pathétiques,
Ont des p'tites gueul's bien sympathiques!

Quand la saint' famille Machin
Croise sur son chemin
Deux de ces malappris,
Ell' leur décoch' hardiment des propos venimeux...
N'empêch' que tout' la famille
(Le pèr', la mèr', la fill', le fils, le Saint-Esprit...)
Voudrait bien, de temps en temps, pouvoir s'conduir' comme eux.

Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s' foutant pas mal du r'gard oblique
Des passants honnêtes,
Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s'disant des «Je t'aim'» pathétiques,
Ont des p'tites gueul's bien sympathiques!

Quand les mois auront passé,
Quand seront apaisés
Leurs beaux rêves flambants,
Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds,
Ils s'apercevront, émus,
Qu'c'est au hasard des ru's,
Sur un d'ces fameux bancs,
Qu'ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour...

Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s' foutant pas mal du r'gard oblique
Des passants honnêtes,
Les amoureux qui s'bécot'nt sur les bancs publics,
Bancs publics, bancs publics,
En s'disant des «Je t'aim'» pathétiques,
Ont des p'tites gueul's bien sympathiques!


Brave Margot

Margoton, la jeune bergère,
Trouvant dans l'herbe un petit chat
Qui venait de perdre sa mère,
L'adopta...
Elle entrouvre sa collerette
Et le couche contre son sein.
C'était tout c'qu'elle avait, pauvrette,
Comm' coussin...
Le chat, la prenant pour sa mère,
Se mit à téter tout de go.
Ému', Margot le laissa faire...
Brav' Margot!
Un croquant, passant à la ronde,
Trouvant le tableau peu commun,
S'en alla le dire à tout l'monde,
Et, le lendemain...

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat,
Tous les gars, tous les gars du village,
Étaient là, la la la la la la la...
Étaient là, la la la la la la...
Et Margot, qu'était simple et très sage,
Présumait qu'c'était pour voir son chat
Qu'tous les gars, qu'tous les gars du village,
Étaient là, la la la la la la la...
Étaient là, la la la la la la...

L'maître d'école et ses potaches,
Le mair', le bedeau, le bougnat,
Négligeaient carrément leur tâche
Pour voir ça...
Le facteur, d'ordinair' si preste,
Pour voir ça, ne distribuait plus
Les lettre que personne, au reste,
N'aurait lues...
Pour voir ça (Dieu le leur pardonne!)
Les enfants de chœur, au milieu
Du saint sacrifice, abondonnent
Le saint lieu...
Les gendarmes, mêm' les gendarmes,
Qui sont par natur' si ballots,
Se laissaient toucher par les charmes
Du joli tableau...

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat,
Tous les gars, tous les gars du village,
Étaient là, la la la la la la la...
Étaient là, la la la la la la...
Et Margot, qu'était simple et très sage,
Présumait qu'c'était pour voir son chat
Qu'tous les gars, qu'tous les gars du village,
Étaient là, la la la la la la la...
Étaient là, la la la la la la...

Mais les autr's femme's de la commune,
Privé's d'leurs époux, d'leurs galants,
Accumulèrent la rancune,
Patiemment...
Puis un jour, ivres de colère,
Elles s'armèrent de bâtons
Et, farouch's, elles immolèrent
Le chaton...
La bergère, après bien des larmes,
Pour s'consoler prit un mari,
Et ne dévoilà plus ses charmes
Que pour lui...
Le temps passa sur les mémoires,
On oublia l'évènement,
Seuls des vieux racontent encore
À leurs p'tits enfants...

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat,
Tous les gars, tous les gars du village,
Étaient là, la la la la la la la...
Étaient là, la la la la la la...
Et Margot, qu'était simple et très sage,
Présumait qu'c'était pour voir son chat
Qu'tous les gars, qu'tous les gars du village,
Étaient là, la la la la la la la...
Étaient là, la la la la la la...


La Cane de Jeanne

La cane
De Jeanne
Est morte au gui l'an neuf...
L'avait pondu, la veille,
Merveille!
Un œuf!

La cane
De Jeanne
Est morte d'avoir fait,
Du moins on le présume,
Un rhume,
Mauvais!

La cane
De Jeanne
Est morte sur son œuf
Et dans son beau costume
De plumes,
Tout neuf!

La cane
De Jeanne
Ne laissant pas de veuf,
C'est nous autres qui eûmes
Les plumes,
Et l'œuf!

Tous, toutes,
Sans doute,
Garderons longtemps le
Souvenir de la cane
De Jeanne,
Morbleu!


J'Ai Rendez-Vous Avec Vous

Monseigneur l'astre solaire,
Comm' je n'l'admir' pas beaucoup,
M'enlèv' son feu, oui mais, d'son feu, moi j'm'en fous,
J'ai rendez-vous avec vous!
La lumièr' que je préfère,
C'est cell' de vos yeux jaloux,
Tout le restant m'indiffère,
J'ai rendez-vous avec vous!

Monsieur mon propriétaire,
Comm' je lui dévaste tout ,
M'chass' de son toit, oui mais, d'son toit, moi j'm'en fous,
J'ai rendez-vous avec vous!
La demeur' que je préfère,
C'est votre robe à froufrous,
Tout le restant m'indiffère,
J'ai rendez-vous avec vous!

Madame ma gargotière,
Comm' je lui dois trop de sous,
M'chass' de sa table, oui mais, d'sa tabl', moi j'm'en fous,
J'ai rendez-vous avec vous!
Le menu que je préfère,
C'est la chair de votre cou,
Tout le restant m'indiffère,
J'ai rendez-vous avec vous!

Sa Majesté financière,
Comm' je n'fais rien à son goût,
Garde son or, or, de son or, moi j'm'en fous,
J'ai rendez-vous avec vous!
La fortun' que je préfère,
C'est votre cœur d'amadou,
Tout le restant m'indiffère,
J'ai rendez-vous avec vous!


Le Vent

Si, par hasard,
Sur l'pont des Arts,
Tu crois's le vent, le vent fripon,
Prudenc', prends garde à ton jupon!
Si, par hasard,
Sur l'pont des Arts,
Tu crois's le vent, le vent maraud,
Prudent, prends garde à ton chapeau!

Les jean-foutre et les gens probes
Médis'nt du vent furibond
Qui rebrouss' les bois, détrouss' les toits, retrouss' les robes...
Des jean-foutre et des gens probes.
Le vent, je vous en réponds,
S'en soucie, et c'est justic', comme de colin-tampon!

Si, par hasard,
Sur l'pont des Arts,
Tu crois's le vent, le vent fripon,
Prudenc', prends garde à ton jupon!
Si, par hasard,
Sur l'pont des Arts,
Tu crois's le vent, le vent maraud,
Prudent', prend garde à ton chapeau!

Bien sûr, si l'on ne se fonde
Que sur ce qui saute aux yeux,
Le vent semble une brut' raffolant de nuire à tout l'monde...
Mais une attention profonde
Prouv' que c'est chez les fâcheux
Qu'il préfèr' choisir les victim's de ses petits jeux!

Si, par hasard,
Sur l'pont des Arts,
Tu crois's le vent, le vent fripon,
Prudenc', prends garde à ton jupon!
Si, par hasard,
Sur l'pont des Arts,
Tu crois's le vent, le vent maraud,
Prudent', prend garde à ton chapeau!


Il N'Y A Pas D'Amour Heureux

Poème de Louis Aragon.

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit* serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
  Il n'y a pas d'amour heureux.

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
À quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
  Il n'y a pas d'amour heureux.

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau bléssé
Et ceux-là sans savoir nous regarde passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
  Il n'y a pas d'amour heureux.

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
  Il n'y a pas d'amour heureux.


* Variante G.B: veut.


Le Nombril Des Femmes D'Agents

Voir le nombril d'la femm' d'un flic
N'est certain'ment pas un spectacle
Qui, du point d'vu' de l'esthétiqu',
Puiss' vous élever au pinacle...
Il y eut pourtant, dans l'vieux Paris,
Un honnête homme sans malice
Brûlant d'contempler le nombril
D'la femm' d'un agent de police...

«Je me fais vieux, gémissait-il,
Et, durant le cours de ma vie,
J'ai vu bon nombre de nombrils
De toutes les catégories:
Nombrils d'femm's de croqu'-morts, nombrils
D'femm's de bougnats, d'femm's de jocrisses,
Mais j'ai jamais vu celui
D'la femm' d'un agent de police...

«Mon père à vu, comm' je vous vois,
Des nombrils de femm's de gendarmes,
Mon frère a gouté plus d'un' fois
D'ceux des femm's d'inspecteurs, les charmes...
Mon fils vit le nombril d'la souris
D'un ministre de la Justice...
Et moi j'nai même pas vu l'nombril
D'la femm' d'un agent de police...»

Ainsi gémissait en public
Cet honnête homme vénérable,
Quand la légitimite d'un flic,
Tendant son nombril secourable,
Lui dit: «Je m'en vais mettre fin
À votre pénible supplice,
Vous fair' voir le nombril enfin
D'la femm' d'un agent de police...»

«Alleluia! fit le bon vieux,
De mes tourments voice la trêve!
Grâces soient rendu's au Bon Dieu,
Je vais réaliser mon rêve!»
Il s'engagea, tout attendri,
Sous les jupons d'sa bienfaitrice,
Braquer ses yeux, sur le nombril
D'la femm' d'un agent de police...

Mais, hélas! il était rompu
Par les effets de sa hantise,
Et comme il atteignait le but
De cinquante ans de convoitise,
La mort, la mort, la mort le prit
Sur l'abdomen de sa complice:
Il n'a jamais vu le nombril
D'la femm' d'un agent de police...


Pauvre Martin

Avec une bêche à l'épaule,
Avec, à la lèvre, un doux chant,
Avec, à la lèvre, un doux chant,
Avec, à l'âme, un grand courage,
Il s'en allait trimer aux champs!

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terr', creuse le temps!

Pour gagner la pain de sa vie,
De l'aurore jusqu'au couchant,
De l'aurore jusqu'au couchant,
Il s'en allait bêcher la terre
En tous les lieux, par tous les temps!

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terr', creuse le temps!

Sans laisser voir, sur son visage,
Ni l'air jaloux ni l'air méchant,
Ni l'air jaloux ni l'air méchant,
Il retournait le champ des autres,
Toujours bêchant, toujours bêchant!

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terr', creuse le temps!

Et quand la mort lui a fait signe
De labourer son dernier champ,
De labourer son dernier champ,
Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant...

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terr', creuse le temps!

Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant,
En faisant vite, en se cachant,
Et s'y étendit sans rien dire
Pour ne pas déranger les gens...

Pauvre Martin, pauvre misère,
Dors sous la terr', dors sous le temps!


La Première Fille

J'ai tout oublié des campagnes
D'Austerlitz et de Waterloo,
D'Itali', de Prusse et d'Espagne,
De Pontoise et de Landerneau!

Jamais de la vie
On ne l'oubliera,
La première fill'
Qu'on a pris' dans ses bras,
La première étrangère
À qui l'on a dit «tu»
(Mon cœur, t'en souviens-tu?)
Comme ell' nous était chère...
Qu'ell' soit fille honnête
Ou fille de rien,
Qu'elle soit pucelle
Ou qu'elle soit putain,
On se souvient d'elle,
On s'en souviendra,
D'la premièr' fill'
Qu'on a pris dans ses bras.

Il sont partis à tire-d'aile
Mes souvenirs de la Suzon,
Et ma mémoire est infidèle
À Juli', Rosette ou Lison!

Jamais de la vie
On ne l'oubliera,
La première fill'
Qu'on a pris dans ses bras,
C'était un' bonne affaire
(Mon cœur, t'en souviens-tu?)
J'ai changé ma vertu
Contre une primevère...
Qu'ce soit en grand' pompe
Comme les gens «bien»,
Ou bien dans la ru',
Comm' les pauvre' et les chiens,
On se souvient d'elle,
On s'en souviendra,
D'la premièr' fill'
Qu'on a pris' dans ses bras.

Toi qui m'as donné le baptême
D'amour et de septième ciel,
Moi, je te garde et, moi, je t'aime,
Dernier cadeau du Pèr' Noël!

Jamais de la vie
On ne l'oubliera,
La première fill'
Qu'on a pris' dans ses bras,
On a beau fair' le brave,
Quand ell' s'est mise nue
(Mon cœur, t'en souviens-tu?)
On n'en menait pas large...
Bien d'autres, sans doute,
Depuis son venues,
Oui, mais, entre tout's
Celles qu'on a connues,
Elle est la dernière
Que l'on oubliera,
La premièr' fill'
Qu'on a pris' dans ses bras.


Je Suis Un Voyou

Ci-gît au fond de mon cœur une histoire ancienne,
Un fantôme, un souvenir d'une que j'aimais...
Le temps, à grands coups de faux, peut faire des siennes,
Mon bel amour dure encore, et c'est à jamais...

J'ai perdu la tramontane
En trouvant Margot,
Princesse vêtu' de laine,
Déesse en sabots...
Si les fleurs, le long des routes,
S'mettaient à marcher,
C'est à la Margot, sans doute,
Qu'ell's feraient songer...
J'lui ai dit: «De la Madone,
Tu es le portrait!»
Le Bon Dieu me le pardonne,
C'était un peu vrai...
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.

La mignonne allait aux vêpres
Se mettre à genoux,
Alors j'ai mordu ses lèvres
Pour savoir leur goût...
Ell' m'a dit, d'un ton sévère:
«Qu'est-ce que tu fais là?»
Mais elle m'a laissé faire,
Les fill's, c'est comm' ça...
J'lui ai dit: «Par la Madone,
Reste auprès de moi!»
Le Bon Dieu me le pardonne,
Mais chacun pour soi...
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.

C'était une fille sage,
À «bouch', que veux-tu?»
J'ai croqué dans son corsage
Les fruits défendus...
Ell' m'a dit d'un ton sévère:
«Qu'est-ce que tu fais là?»
Mais elle m'a laissé faire,
Les fill's, c'est comm' ça...
Puis, j'ai déchiré sa robe,
Sans l'avoir voulu...
Le Bon Dieu me le pardonne,
Je n'y tenais plus!
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.

J'ai perdu la tramontane
En perdant Margot,
Qui épousa, contre son âme,
Un triste bigot...
Elle doit avoir à l'heure,
À l'heure qu'il est,
Deux ou trois marmots qui pleurent
Pour avoir leur lait...
Et, moi, j'ai tété leur mère
Longtemps avant eux...
Le Bon Dieu me le pardonne,
J'étais amoureux!
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.


La Mauvaise Herbe

Quand l'jour de gloire est arrivé,
Comm' tous les autr's étaient crevés,
Moi seul connus le déshonneur
De n'pas êtr' mort au champ d'honneur.

Je suis d'la mauvaise herbe,
Braves gens, braves gens,
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbe...
La mort faucha les autres,
Braves gens, braves gens,
Et me fit grâce à moi,
C'est immoral et c'est comm' ça!
La la la la la la la la
La la la la la la la la
Et je m'demand'
Pourquoi, Bon Dieu,
Ca vous dérange
Que j' vive un peu...
Et je m'demand'
Pourquoi, Bon Dieu,
Ca vous dérange
Que j' vive un peu...

La fille à tout l'monde a bon cœur,
Ell' me donne, au petit bonheur,
Les p'tits bouts d'sa peau, bien cachés,
Que les autres n'ont pas touchés.

Je suis d'la mauvaise herbe,
Braves gens, braves gens,
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbe...
Elle se vend aux autres,
Braves gens, braves gens,
Elle se donne à moi,
C'est immoral et c'est comm' ça!
La la la la la la la la
La la la la la la la la
Et je m'demand'
Pourquoi, Bon Dieu,
Ca vous dérange
Qu'on m'aime un peu...
Et je m'demand'
Pourquoi, Bon Dieu,
Ca vous dérange
Qu'on m'aime un peu...

Les hommes sont faits, nous dit-on,
Pour vivre en band', comm' les moutons.
Moi, j'vis seul, et c'est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin.

Je suis d'la mauvaise herbe,
Braves gens, braves gens,
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbe...
Je suis d'la mauvaise herbe,
Braves gens, braves gens,
Je pousse en liberté
Dans les jardins mal fréquentés!
La la la la la la la la
La la la la la la la la
Et je m'demand'
Pourquoi, Bon Dieu,
Ca vous dérange
Que j'vive un peu...
Et je m'demand'
Pourquoi, Bon Dieu,
Ca vous dérange
Que j'vive un peu...


Le Mauvais Sujet Repenti

Elle avait la taill' faite au tour,
Les hanches pleines,
Et chassait l' mâle aux alentours.
De la Mad'leine...
À sa façon d'me dir' : «Mon rat,
Est-c'que j'te tente?»
Je vis que j'avais affaire à
Un' débutante...

L'avait l'don, c'est vrai, j'en conviens,
L'avait l'génie,
Mais sans technique, un don n'est rien
Qu'un' sal' manie...
Certes, on ne se fait pas putain
Comme on s'fait nonne.
C'est du moins c'qu'on prêche, en latin,
À la Sorbonne...

Me sentant rempli de pitié
Pour la donzelle,
J'lui enseignai, de son métier,
Les p'tit's ficelles...
J'lui enseignai l'moyen d'bientôt
Faire fortune,
En bougeant l'endroit où le dos
R'ssemble à la lune...

Car, dans l'art de fair' le trottoir,
Je le confesse,
Le difficile est d'bien savoir
Jouer des fesses...
On n'tortill' pas son popotin
D'la mêm' manière,
Pour un droguiste, un sacristain,
Un fonctionnaire...

Rapidement instruite par
Mes bons offices,
Elle m'investit d'une part
D'ses bénéfices...
On s'aida mutuellement,
Comm' dit l'poète.
Ell' était l'corps, naturell'ment,
Puis moi la tête...

Un soir, à la suite de
Manœuvres douteuses,
Ell' tomba victim' d'une
Maladie honteuses...
Lors, en tout bien, toute amitié,
En fille probe,
Elle me passa la moitié
De ses microbes...

Après des injections aiguës
D'antiseptique,
J'abandonnai l'métier d'cocu
Systématique...
Elle eut beau pousser des sanglots,
Braire à tu'-tête,
Comme je n'étais qu'un salaud,
J'me fis honnête...

Sitôt privé' de ma tutell',
Ma pauvre amie
Courrut essuyer du bordel
Les infamies...
Paraît qu'ell's'vend même à des flics,
Quell' décadence !
Y'a plus d'moralité publiqu'
Dans notre France...


P... De Toi

En ce temps-là, je vivais dans la lune,
Les bonheurs d'ici-bas m'étaient tous défendus,
Je semais des violett's et chantais pour des prunes
Et tendais la patte aux chats perdus...

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...

Un soir de plui', v'là qu'on gratte à ma porte,
Je m'empresse d'ouvrir (sans doute un nouveau chat!)
Nom de Dieu! l'beau félin que l'orage m'apporte,
C'était toi, c'était toi, c'était toi...

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...

Les yeux fendus et couleur pistache,
T'as posé sur mon cœur ta patte de velours...
Fort heureus'ment pour moi, t'avais pas de moustache
Et ta vertu ne pesait pas trop lourd...

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...

Aux quatre coins de ma vi' de bohème ,
Tu as prom'né, tu as prom'né le feu de tes vingt ans,
Et pour moi, pour mes chats, pour mes fleurs, mes poèmes,
C'était toi, la pluie et le beau temps...

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...

Mais le temps passe et fauche à l'aveuglette,
Notre amour mûrissait à peine que, déjà,
Tu brûlais mes chansons, crachais sur mes violettes,
Et faisais des misères à mes chats...

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...

Le comble enfin, misérable salope,
Comme il n'restait plus rien dans le garde-manger,
T'as couru sans vergogne, et pour une escalope,
Te jeter dans le lit du boucher!

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...

C'était fini, t'avais passé les bornes.
Et r'nonçant aux amours frivoles d'ici-bas,
J'suis r'monté dans la lune en emportant mes cornes,
Mes chansons, et mes fleurs, et mes chats...

Ah ah ah ah! putain de toi!
Ah ah ah ah ah ah! pauvre de moi...


Chanson Pour L'Auvergnat

Elle est à toi, cette chanson,
Toi, l'Auvergnat qui, sans façon,
M'as donné quatre bouts de bois
Quand, dans ma vie, il faisait froid,
Toi qui m'as donné du feu quand
Les croquantes et les croquants,
Tout les gens bien intentionnés,
M'avaient fermé la porte au nez...
Ce n'était rien qu'un feu de bois,
Mais il m'avait chauffé le corps,
Et dans mon âme il brûle encor'
À la manièr' d'un feu de joi'.

Toi, l'Auvergnat, quand tu mourras,
Quand le croqu'-mort t'emportera,
Qu'il te conduise, à travers ciel,
Au Père éternel.

Elle est à toi, cette chanson,
Toi, l'Hôtesse qui, sans façon,
M'as donné quatre bouts de pain
Quand, dans ma vie, il faisait faim,
Toi qui m'ouvrit ta huche quand
Les croquantes et les croquants,
Tout les gens bien intentionnés,
S'amusaient à me voir jeûner...
Ce n'était rien qu'un peu de pain,
Mais il m'avait chauffé le corps,
Et dans mon âme il brûle encor'
À la manièr' d'un grand festin.

Toi, l'Hôtesse, quand tu mourras,
Quand le croqu'-mort t'emportera,
Qu'il te conduise, à travers ciel,
Au Père éternel.

Elle est à toi, cette chanson,
Toi, l'Étranger, qui sans façon,
D'un air malheureux m'as souri
Lorsque les gendarmes m'ont pris,
Toi qui n'as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants,
Tout les gens bien intentionés,
Riaient de me voir amené...
Ce n'était rien qu'un peu de miel.
Mais il m'avait chauffé le corps,
Et dans mon âme il brûle encor'
À la manièr' d'un grand soleil.

Toi, l'Étranger, quand tu mourras,
Quand le croqu'-mort t'emportera,
Qu'il te conduise, à travers ciel,
Au Père éternel.


Les Sabots D'Hélène

Les sabots d'Hélène
Étaient tout crottés,
Les trois capitaines
L'auraient appelé' vilaine,
Et la pauvre Hélène
Était comme une ame en peine...
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d'eau,
Ne cherche plus: aux larmes d'Hélène
Va-t'en remplir ton seau.

Moi j'ai pris la peine
De les déchausser,
Les sabots d'Hélène,
Moi qui ne suis pas capitaine,
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée...
Dans les sabots de la pauvre Hélène,
Dans ses sabots crottés,
Moi j'ai trouve les pieds d'une reine
Et je les ai gardés.

Son jupon de laine
Était tout mité,
Les trois capitaines
L'auraient appelé' vilaine,
Et la pauvre Hélène
Était comme une âme en peine...
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d'eau,
Ne cherche plus: aux larmes d'Hélène
Va-t'en remplir ton seau.

Moi j'ai pris la peine
De le retrousser,
Le jupon d'Hélène
Moi qui ne suis pas capitaine,
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée...
Sous les jupons de la pauvre Hélène,
Sous son jupon mité,
Moi j'ai trouvé des jambes de reine
Et je les ai gardées.

Et le cœur d'Hélène
N'savait pas chanter,
Les trois capitaines
L'auraient appelé' vilaine,
Et la pauvre Hélène
Était comme une âme en peine...
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d'eau,
Ne cherche plus: aux larmes d'Hélène
Va-t'en remplir ton seau.

Moi j'ai pris la peine
De m'y arrêter,
Dans le cœur d'Hélène
Moi qui ne suis pas capitaine,
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée...
Et, dans le cœur de la pauvre Hélène
Qui avait jamais chanté,
Moi j'ai trouve l'amour d'une reine
Et moi je l'ai gardé.


Paroles et musique: GEORGES BRASSENS, sauf indication contraire.
VICTOR APICELLA -- 2e guitare (1,3,7,8,9,12).
PIERRE NICOLAS -- contrebasse, sauf sur Le Gorille.
Ingénieur du son PIERRE FATOSME.

Éditions Intersong-Paris
1 à 5 (P) 1952 Phonogram S.A Paris
6 à 16 (P) 1953 Phonogram S.A Paris
17 à 24 (P) 1954 Phonogram S.A Paris
© 1988 Phonogram

No need to go further!! It's just Tripod publicity!!
Pas besoin de descendre plus!! C'est juste de la publicité de Tripod!!