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Georges Brassens

Le Patrimoine de Brassens Interprété Par Jean Bertola


   "Sans souci du temps, lentement, patiemment, Goerges travaillait ses textes, qui mettaient quelquefois de longues années à mûrir. Rangés, dans un beau désordre, sur des feuilles éparses ou des cahiers d'écolier, il laissait derrière lui dix-sept chansons prêtes à être enregistrées, mais aussi des textes achevés assortis ça et là d'amorces de mélodies d'une part, qu'il avait confiées à des bandes magnétiques (certaines ayant été offertes à des amis).
   Jean Bertola a enregistré un double disque comprenant les dix-sept chansons terminées avec le succès que l'on connaît. C'est encore à lui qu'à été confié le périlleux honneur de faire le reste.
   Faire le reste, c'est-à-dire: achever les mélodies amorcées, marier les textes et musiques de Brassens qui semblaient présenter des affinités, imaginer une escorte musicale aux poêmes qui restaient veufs, enregistrer un nouveau disque!
   Le disque est là: chacun y démélera, selon ses penchants, ses humeurs, sa perspicacité, ce qui revient dans tout cela à Georges Brassens et ce qui est plutôt de Jean Bertola."

Pierre Onténiente dit: Gibraltar


L'Antéchrist

Je ne suis pas du tout l'antéchrist de service,
J'ai même pour Jésus et pour son sacrifice
Un brin d'admiration, soit dit sans ironie.
Car ce n'est sûrement pas une sinécure,
Non, que de se laisser cracher à la figure
Par la canaille et la racaille réunies.

Bien sûr, il est normal que la foule révère
Ce héros qui jadis partit pour aller faire
L'alpiniste avant l'heure en haut du Golgotha,
En portant sur l'épaule une croix accablante,
En méprisant l'insulte et le remonte-pente,
Et sans aucun bravo qui le réconfortât!

Bien sûr, autour du front, la couronne d'épines,
L'éponge trempée dans Dieu sait quelle bibine,
Et les clous enfoncés dans les pieds et les mains,
C'est très inconfortable et ça vous tarabuste,
Même si l'on est brave et si l'on est robuste,
Et si le paradis est au bout du chemin.

Bien sûr, mais il devait défendre son prestige,
Car il était le fils du ciel, l'enfant prodige,
Il était le Messie et ne l'ignorait pas.
Entre son père et lui, c'était l'accord tacite:
Tu montes sur la croix et je te ressussite!
On meurt de confiance avec un tel papa.

Il a donné sa vie sans doute mais son zèle
Avait une portée quasi universelle
Qui rendait le supplice un peu moins douloureux.
Il savait que, dans chaque église, il serait tête
D'affiche et qu'il aurait son portrait en vedette,
Entouré des élus, des saints, des bienheureux.

En se sacrifiant, il sauvait tous les hommes.
Du moins le croyait-il! Au point où nous en sommes,
On peut considérer qu'il s'est fichu dedans.
Le jeu, si j'ose dire, en valait la chandelle.
Bon nombre de chrétiens et même d'infidèles,
Pour un but aussi noble, en ferait tout autant.

Cela dit je ne suis pas l'antéchrist de service.


Si Seulement Elle Était Jolie

Si seul'ment elle était jolie
Je dirais: «Tout n'est pas perdu,
Elle est folle, c'est entendu,
Mais quelle beauté accomplie!»
Hélas elle est plus laide bientôt
Que les sept péchés capitaux.
Que les sept péchés capitaux.

Si seul'ment elle avait des formes
Je dirais: «Tout n'est pas perdu,
Elle est moche, c'est entendu,
Mais c'est Vénus, copie conforme.»
Malheureus'ment, c'est désolant,
C'est un vrai squelette ambulant.
C'est un vrai squelette ambulant.

Si seul'ment elle était gentille,
Je dirait: «Tout n'est pas perdu,
Elle est plate, c'est entendu,
Mais c'est la meilleure des filles.»
Malheureus'ment, c'est un chameau,
Un succube, tranchons le mot.
Un succube, tranchons le mot.

Si elle était intelligente,
Je dirait: «Tout n'est pas perdu,
Elle est vache, c'est entendu,
Mais c'est une femme savante.»
Malheureus'ment elle est bête
Et tout à fait analphabète.
Et tout à fait analphabète.

Si seul'ment l'était cuisinière,
Je dirais: «Tout n'est pas perdu,
Elle est sotte, c'est entendu,
Mais quelle artiste culinaire!»
Malheureus'ment sa chère m'a
Pour toujours gâté l'estomac.
Pour toujours gâté l'estomac.

Si seul'ment elle était fidèle,
Je dirais: «Tout n'est pas perdu,
Elle m'empoissonn', c'est entendu,
Mais c'est une épouse modèle.»
Malheureus'ment elle est, papa,
Folle d'un cul qu'elle n'a pas!
Folle d'un cul qu'elle n'a pas!

Si seul'ment l'était moribonde,
Je dirais: «Tout n'est pas perdu,
Elle me trompe, c'est entendu,
Mais elle va quitter le monde.»
Malheureus'ment jamais ell' tousse:
Elle nous enterrerra tous!
Elle nous enterrerra tous!


Le Revenant

Calme, confortable, officiel,
En un mot résidentiel,
Tel était le cimetière où
Cet imbécile avait son trou.

Comme il ne reconnaissait pas
Le bien-fondé de son trépas,
L'a voulu faire - aberration! -
Sa petite résurrection.

Les vieux morts, les vieux «ici-gît»,
Les braves sépulcres blanchis,
Insistèrent pour qu'il revînt
Sur sa décision mais en vain.

L'ayant astiquée, il remit
Sur pied sa vieille anatomie,
Et tout pimpant, tout satisfait,
Prit la clef du champ de navets.

Chez lui s'en étant revenu,
Son chien ne l'a pas reconnu
Et lui croque en deux coups de dents
Un des os les plus importants.

En guise de consolation,
Pensa faire une libation,
Boire un coup de vin généreux,
Mais tous ses tonneaux sonnaient creux.

Quand dans l'alcôve il est entré
Embrasser sa veuve éplorée,
Il jugea d'un simple coup d'œil
Qu'elle ne portait plus son deuil.

Il la trouve se réchauffant
Avec un salaud de vivant,
Alors chancelant dans sa foi
Mourut une seconde fois.

La commère au potron-minet
Ramassa les os qui traînaient
Et pour une bouchée de pain
Les vendit à des carabins.

Et, depuis lors, ce macchabée,
Dans l'amphithéâtre tombé,
Malheureux, poussièreux, transi,
Chante «Ah! ce qu'on s'emmerde ici»!
Malheureux, poussièreux, transi,
Chante «Ah! ce qu'on s'emmerde ici»!


Tant Qu'Il Y A Des Pyrénées

Frapper le gros Mussolini,
Même avec un macaroni,
Le Romain qui jouait à ça
Se voyait privé de pizza.
Après le Frente Popular,
L'hidalgo non capitulard
Qui s'avisait de dire «niet»
Mourait au son des castagnettes.

J'ai conspué Franco la fleur à la guitare*
Durant pas mal d'années; durant pas mal d'années;
Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail
Y avait les Pyrénées! Y avait les Pyrénées!

Qui crachait sur la croix gammée,
Dans une mine était sommé
De descendre extraire du sel
Pour assaissonner les Bretzels.
Avant que son jour ne décline,
Qui s'élevait contre Staline
Filait manu militari
Aux sports d'hiver en Sibérie.

J'ai conspué Franco la fleur à la guitare
Durant pas mal d'années; durant pas mal d'années;
Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail
Y avait les Pyrénées! Y avait les Pyrénées!

Au quatre coins de monde encore,
Qui se lève et crie: «Pas d'accord!»
En un touremain se fait cou-
per le siffler, tordre le cou.
Dans mon village, on peut à l'heure
Qu'il est, sans risque de malheur,
Brandir son drapeau quel qu'il soit,
Mais jusques à quand? Chi lo sà?

J'ai conspué Franco la fleur à la guitare
Durant pas mal d'années; durant pas mal d'années;
Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail
Y avait les Pyrénées! Y avait les Pyrénées!
S'engager par le mot, trois couplets un refrain,
Par le biais du micro, par le biais du micro,
Ça s'fait sur une jambe et ça n'engage à rien,
Et peut rapporter gros. Et peut rapporter gros.


* Variante J.B: la guitare en bataille.


Chansonnette À Celle Qui Reste Pucelle

Jadis la mineure
Perdait son honneur(e)
Au moindre faux pas
Ces mœurs n'ont plus cours, de
Nos jours c'est la gourde
Qui ne le fait pas.

Toute ton école,
Petite, rigole
Qu'encore à seize ans
Tu sois vierge et sage,
Fidèle à l'usage
Caduc à présent.

Malgré les exemples
De gosses, plus ample
Informé que toi,
Et qu'on dépucelle
Avec leur crécelle
Au bout de leurs doigts.

Chacun te brocarde
De ce que tu gardes
Ta fleur d'oranger,
Pour la bonne cause,
Et chacune glose
Sur tes préjugés.

Et tu sers de cible
Mais reste insensible
Aux propos moqueurs,
Aux traits à la gomme.
Comporte-toi comme
Te le dit ton cœur.

Quoi qu'en raconte,
Y a pas plus de honte
À se refuser,
Ni plus de mérite
D'ailleurs, ma petite,
Qu'à se faire baiser.
Ni plus de mérite
D'ailleurs, ma petite,
Qu'à se faire baiser.

Facultatifs

Certes, si te presse
La soif de caresses,
Cours, saute avec les
Vénus de Panurge.
Va, mais si rien n'urge,
Faut pas t'emballer.

Mais si tu succombes,
Sache surtout qu'on
Peut être passée pas
Onze mille verges,
Et demeurer vierge,
Paradoxe à part.


La Légion D'Honneur

Tous les Brummel, les dandys, les gandins,
Il les considérait avec dédain.
Faisant peu cas de l'élégance il s'ha-
billait toujours au décrochez-moi-ça.
Au combat, pour s'en servir de liquette,
Sous le déluge d'obus, de roquettes,
Il conquit un oriflamme teuton.
Cet acte lui valut le grand cordon.
Mais il perdit le privilège de
S'aller vêtir à la six-quatre-deux,
Car ça la fout mal saperlipopette
D'avoir des faux plis, des trous à ses bas,
De mettre un ruban sur la salopette.
La légion d'honneur ça pardonne pas.

L'âme du bon feu maistre Jehan Cotart
Se réincarnait chez ce vieux fétard.
Tenter de l'empêcher de boire un pot
C'était ni plus ni moins risquer sa peau.
Un soir d'intempérance, à son insu,
Il éteignit en pissotant dessus
Un simple commencement d'incendie.
Depuis que n'est plus vierge son revers,
Il s'interdit de marcher de travers.
Car ça la fout mal d'se rendre dans les vignes,
Dites du seigneur, faire des faux pas
Quand on est marqué du fatal insigne.
La légion d'honneur ça pardonne pas.

Grand peloteur de fesses convaincu,
Passé maître en l'art de la main au cul,
Son dada c'était que la femme eut le
Bas de son dos tout parsemé de bleus.
En vus de la palper d'un geste obscène,
Il a plongé pour sauver de la Seine
Une donzelle en train de se noyer,
Dame! aussi sec on vous l'a médaillé.
Ce petit hochet à la boutonnière
Vous le condamne à de bonnes manières.
Car ça la fout mal avec la rosette,
De tâter, flatter, des filles les appas.
La louche au valseur; pas de ça Lisette!
La légion d'honneur ça pardonne pas.

Un brave auteur à chansons malotru
Avait une tendance à parler cru,
Bordel de dieu, con, pute, et cætera
Ornaient ses moindres tradéridéras.
Sa muse un soir d'un derrière distrait
Pondit, elle ne le fit pas exprès,
Une rengaine sans gros mots dedans
On vous le chamarra tambour battant.
Et maintenant qu'il porte cette croix,
Profèrer «Merde» il n'en a plus le droit.
Car ça la fout mal de mettre à ses lèvres
De grand commandeur, des termes trop bas,
D'chanter l'grand vicaire et les trois orfèvres.
La légion d'honneur ça pardonne pas.


S'Faire Enculer

La lune s'attristait. On comprend sa tristesse
On tapait plus dedans. Ell's' demandait quand est-ce
Qu'on vas s'rapp'ler de m'enculer.

Dans mon affreux jargon, carence inexplicable,
Brillait par son absence un des pires vocables
C'est: «enculé». Lacune comblée.

Lâcher ce terme bas, Dieu sait ce qu'il m'en coûte,
La chose ne me gêne pas mais le mot me dégoute,
J'suis désolé de dire enculé.

Oui mais depuis qu'Adam se fit charmer par Ève
L'éternel féminin nous emmerde et je rêve
Parfois d'aller m'faire enculer

Sous les coups de boutoir des ligues féministes
La moitié des messieurs brûle d'être onaniste,
L'autre d'aller s'faire enculer.

À force d'être en butte au tir des suffragettes
En son for intérieur chacun de nous projette
D'hélas aller s'faire enculer.

Quand on veut les trousser, on est un phallocrate,
Quand on ne le veut point, un émule de Socrate,
Reste d'aller s'faire enculer.

Qu'espèrent en coassant des légions de grenouille,
Que le royaume de France enfin tombe en quenouille,
Qu'on coure aller s'faire enculler?

Y a beaux jours que c'est fait devant ces tyrannettes,
On danse comme des pantins, comme des marionnettes
Au lieu d'aller s'faire enculer.

Pompadour, Montespan, La Vallière et j'en passe
Talonnèrent le roi qui marchait tête basse
Souhaitant aller s'faire enculer.

A de rars exceptions, nom d'un chien, ce sont elles
Qui toujours mine de rien déclenchent la bagatelle;
Il faut s'faire enculer.

Oui la plupart du temp sans aucune équivoque
En tortillant du cul ces dames nous provoquent,
Mieux vaut aller s'faire enculer.

Fatigué de souffrir leur long réquisitoire
Ayant en vain cherché d'autres échappatoires,
Je vais aller m'faire enculer.

D'à partir de ce soir cessant d'croquer la pomme
J'embarque pour Cythère en passant par Sodome,
Afin d'aller m'faire enculer.

Afin qu'aucune de vous mesdames n'imagine
Que j'ai du parti pris, que je suis misogyne,
Avant d'aller m'faire enculer

J'avoue publiquement que vous êtes nos égales,
Qu'il faut valider çà dans une formule légale,
J'suis enculer mais régulier.

En vertu d'quel pouvoir, injustes que nous sommes,
Vous refuse-t-on les droits que l'on accorde aux hommes,
Comme d'aller s'faire enculer.


Honte À Qui Peut Chanter

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.

En mil neuf cent trente-sept que faisiez-vous mon cher?
J'avais la fleur de l'âge et la tête légère,
Et l'Espagne flambait dans un grand feu grégeois.
Je chantais, et j'étais pas le seul «Y a d'la joie».

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.

Et dans l'année quarante mon cher que faisiez-vous?
Les Teutons forçaient la frontière, et comme un fou,
Et comme tout un chacun, vers le Sud, je fonçais,
En chantant «Tout ça, ça fait d'excellents Français».

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.

À l'heure de Pétain, à l'heure de Laval,
Que faisiez-vous mon cher en plein dans la rafale?
Je chantais, et les autres ne s'en privaient pas,
«Bel ami», «Seul ce soir», «J'ai pleuré sur tes pas».

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.

Mon cher, un peu plus tard, que faisait votre glotte
Quand en Asie ça tombait comme à Gravelotte?
Je chantais, il me semble, ainsi que tout un tas
De gens, «Le déserteur», «Les croix», «Quand un soldat».

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.

Que faisiez-vous mon cher au temps de l'Algérie,
Quand Brel était vivant qu'il habitait Paris?
Je chantais, et quoique désolé par ces combats,
«La valse à mille temps» et «Ne me quitte pas».

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.

Le feu de la ville éternelle est éternel.
Si Dieu veut l'incendie, il veut les ritournelles.
À qui fera-t-on croire que le bon populo,
Quand il chante quand même est un parfait salaud?

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant que
Que Rome brûle, elle brule tout l'temps...
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
À Gavroche, à Mimi Pinson.


Le Progrès

Que le progrès soit salutaire,
C'est entendu, c'est entendu.
Mais ils feraient mieux de se taire,
Ceux qui disent que le presbytère
De son charme du vieux temps passé n'a rien perdu,
N'a rien perdu.

Supplantés par des betteraves,
Les beaux lilas! les beaux lilas!
Sans mentir, il faut être un brave,
Fourbe pour dire d'un ton grave,
Que le jardin du curé garde tout son éclat,
Tout son éclat.

Entre les tours monumentales
Toujours croissant, toujours croissant,
Qui cherche sa maison natale
Se perd comme dans un dédale.
Au mal du pays, plus aucun remède à présent,
Remède à présent.

C'est de la malice certaine,
C'est inhumain! c'est inhumain!
Ils ont asséché la fontaine
Où les belles samaritaines
Nous faisaient boire, en été, l'eau fraîche dans leurs mains,
Fraîche dans leurs mains.

Ils ont abbatu, les vandales,
Et sans remords, et sans remords,
L'arbre couvert en capitales
De noms d'amants. C'est un scandale!
Les amours mortes n'ont plus de monuments aux morts,
Monuments aux morts.

L'a fait des affaires prospères,
Le ferrailleur, le ferrailleur,
En fauchant les vieux réverbères.
Maintenant quand on désespère,
On est contraint et forcé d'aller se pendre ailleurs,
Se pendre ailleurs.

Et c'est ce que j'ai fait sur l'heure,
Et sans délai, et sans délai.
Le coq du clocher n'est qu'un leurre,
Une girouette de malheur.
Ingrate patrie, tu n'auras pas mes feux follets,
Mes feux follets.

Que le progrès soit salutaire,
C'est entendu, c'est entendu.
Mais ils feraient mieux de se taire,
Ceux qui disent que le presbytère
De son charme du vieux temps passé n'a rien perdu,
N'a rien perdu.


L'Orphelin

Sauf dans le cas fréquent, hélas!
Où ce sont de vrais dégueulasses,
On ne devrait perdre jamais
Ses père et mère, bien sûr, mais
À moins d'être un petit malin
Qui meurt avant d'être orphelin,
Ou un infortuné bâtard,
Ça nous pend au nez tôt ou tard.

Quand se drapant dans un linceul
Ses parents se laissent tout seul,
Le petit orphelin, ma foi,
Est bien à plaindre. Toutefois,
Sans aller jusqu'à décréter
Qu'il devient un enfant gâté,
Disons que dans son affliction
Il trouve des compensations.

D'abord au dessert aussitôt
La meilleure part du gâteau,
Et puis plus d'école pardi
La semaine aux quatre-jeudis.
On le traîte comme un pacha,
À sa place on fouette le chat,
Et le trouvant très chic en deuil,
Les filles lui font des clins d'œil.

Il serait par trop saugrenu
D'énumérer par le menu
Les faveurs et les passe-droits
Qu'en l'occurence on lui octroie.
Tirant même un tel bénéfice
En perdant leurs parents, des fils
Dénaturés regrettent de
N'en avoir à perdre que deux.

Hier j'ai dit à un animal
De flic qui me voulait du mal:
«Je suis orphelin, savez-vous?»
Il me répondit: «Je m'en fous.»
J'aurais eu quarante ans de moins
Je suis sûr que par les témoins
La brute aurait été mouchée.
Mais ces lâches n'ont pas bougé.

Aussi mon enfant si tu dois
Être orphelin, dépêche-toi.
Tant qu'à perdre tes chers parents,
Petit, n'attends pas d'être grand:
L'orphelin d'âge canonique
Personne ne le plaint: bernique!
Et pour tout le monde il demeure
Orphelin de la onzième heure.

Celui qui à fait cette chanson
À voulu dire à sa façon,
Que la perte des vieux est par-
fois perte sèche, blague à part.
Avec l'âge c'est bien normal,
Les plaies du cœur guérissent mal.
Souventes fois même, salut
Elles ne se referment plus.
Elles ne se referment plus.


Les Châteaux De Sable

Je chante la petite guerre
Des braves enfants de naguère
Qui sur la plage ont bataillé
Pour sauver un château de sable
Et ses remparts infranchissables
Qu'une vague allait balayer.

J'en étais: l'arme à la bretelle,
Retranchés dans la citadelle,
De pied ferme nous attendions
Une cohorte sarrazine
Partie de la côte voisine
À l'assaut de notre bastion.

À cent pas de là sur la dune,
En attendant que la fortune
Des armes sourie aux vainqueurs,
Languissant d'être courtisées
Nos promises, nos fiancées
Préparaient doucement leur cœur.

Tout à coup l'Armada sauvage
Déferla sur notre rivage
Avec ses lances, ses pavois,
Pour commettre force rapines,
Et même enlever nos Sabines
Plus belles que les leurs, ma foi.

La mêlée fut digne d'Homère,
Et la défaite bien amère
À l'ennemi pourtant nombreux,
Qu'on battit à plate couture,
Qui partit en déconfiture
En déroute, en sauve-qui-peut.

Oui, cette horde de barbares
Que notre fureur désempare
Fit retraite avec ses vaisseaux,
En n'emportant pour tous trophées,
Moins que rien, deux balles crevées,
Trois raquettes, quatre cerceaux.

Après la victoire fameuse
En chantant l'air de «Sambre et Meuse»
Et de la «Marseillaise», ô gué,
On courut vers la récompense
Que le joli sexe dispense
Aux petits héros fatigués.

Tandis que tout bas à l'oreille
De nos Fanny, de nos Mireille,
On racontait notre saga,
Qu'au doigt on leur passait la bague,
Surgit une espèce de vague
Que personne ne remarqua.

Au demeurant ce n'était qu'une
Vague sans amplitude aucune,
Une vaguelette égarée,
Mais en atteignant au rivage
Elle causa plus de ravages,
De dégats qu'un raz-de-marée.

Expéditive, la traîtresse
Investit notre forteresse,
La renversant, la détruisant.
Adieu donjon, tours et courtines,
Que quatre gouttes anodines
Avaient effacés en passant.

À quelque temps de là nous sommes
Allés mener parmi les hommes
D'autres barouds plus décevants,
Allés mener d'autres campagnes,
Où les châteaux sont plus d'Espagne,
Et de sable qu'auparavant.

Quand je vois lutter sur la plage
Des soldats à la fleur de l'âge,
Je ne les décourage pas,
Quoique je sache, ayant naguère
Livré moi-même cette guerre,
L'issue fatale du combat.

Je sais que malgré leur défense,
Leur histoire est perdue d'avance,
Mais je les laisse batailler,
Pour sauver un château de sable
Et ses remparts infranchissables,
Qu'une vague vas balayer.


Jeanne Martin

La petite presqu'île
Où jadis, bien tranquille,
Moi je suis né natif,
Sois dit sans couillonnade
Avait le nom d'un ad-
jectif démonstratif.

Moi, personnellement
Que je meure si je mens
Ça m'était bien égal;
J'étais pas chatouillé,
J'était pas humilié
Dans mon honneur local.

Mais voyant d'l'infamie
Dans cette homonymie,
Des bougres s'en sont plaints
Tellement que bientôt
On a changé l'ortho-
graphe du nom du patelin.

Et j'eus ma première tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu,
Messieurs les édiles,
Que l'on soit passé
Pour débaptiser
Nos petites villes.

La chère vieille rue
Où mon père avait cru
On ne peut plus propice
D'aller construire sa
Petite maison s'a-
ppelait rue de l'Hospice.

Se mettre en quête d'un
Nom d'rue plus oportun
Ne se concevait pas.
On n'pouvait trouver mieux
Vu qu'un asile de vieux
Florissait dans le bas.

Les anciens combattants,
Tous comme un seul, sortant
De leurs vieux trous d'obus,
Firent tant qu'à la fin
La rue d'l'Hospice devint:
La rue Henri Barbusse.

Et j'eus ma deuxième tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu,
Héros incongrus,
Que l'on soit passé
Pour débaptiser
Nos petites rues.

Moi, la première à qui
Mon cœur fut tout acquis
S'app'lait Jeanne Martin,
Patronyme qui fait
Pas tellement d'effet
Dans le botin mondain.

Mais moi j'aimais comme un
Fou ce nom si commun,
N'en déplaisent aux minus.
D'ailleurs, de parti pris,
Celle que je chéris,
S'appelle toujours Vénus.

Hélas un béotien
À la place du sien
Lui proposa son blase
Fameux dans l'épicerie
Et cette renchérie
Refusa pas, hélas!

Et j'eus ma troisième tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu
Cinq minutes, non?
Gentes fiancées,
Que l'on soit passé
Pour changer de nom.
Gentes fiancées,
Que l'on soit passé
Pour changer de nom.


Paroles et musique: GEORGES BRASSENS, sauf * GEORGES BRASSENS/JEAN BERTOLA.
Arrangement et direction d'orchestre: JEAN BERTOLA.
PIERRE NICOLAS -- contrebasse.
MAURICE VANDER -- piano.
CHRISTIAN GARROS -- batterie.
JOËL FAVREAU et GÉRARD NIOBÉ -- guitares.

Enregistrement réalisé au studio des Dames.
Ingénieur du son PAUL HOUDEBINE assisté de MARC REPINGON.

Éditions Musicales 57
(P) 1985 Phonogram S.A Paris
© 1988 Phonogram

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